Je viens tout juste d'emménager dans une Sakura House après avoir allègrement fui la famille d'accueil qui me permettait de manger bien au-dessus de ma faim tous les soirs. C'est une formule assez répandue au Japon (non pas de fuir son destin mais de mélanger japonais et anglais dans un même mot, étrangers et gens bizarre dans un même lieu), quoique sous des formes différentes selon les villes. Une maison de taille raisonnable est compartimentée en autant de chambres qu'il y a de pièces moins deux qui sont la cuisine et la salle de bain. Tout est inclus, draps, baguettes, balcons, eau chaude à volonté, télévision, machine à cuire le riz et petit temple en guise de backyard. Ce matin là, je me suis levé de bonne heure, c'était dimanche, j'ai rallumé le chauffage et je suis descendu prendre ma douche (ce qui consiste dans une salle de bain japonaise, à se tenir debout au milieu de la pièce en s'amusant à faire bouger les nuages de vapeur à l'aide de la pomme de douche). La plupart des gens que je rencontre à Tokyo n'ont pas beaucoup plus choisi leur destination plus que moi et sont pour la plupart victime de partenariats entre universités et autres bourses ou obligation de stages. De la même façon, aucun n'a choisi son acculturation. Le propriétaire de la maison, qui attendait ce matin là le réparateur de machine à laver (dont l'usage n'est pas limité, pour le plus grand bonheur du type qui a louer la chambre qui jouxte la cuisine), m'a fait remarquer que je prenais un petit déjeuner typiquement japonais (bol de riz, subtilement assaisonné à l'aide d'un oeuf cru, de quelques gouttes de sauce soja et escorté par une fidèle tasse de thé). J'ai remarqué que Ken (ou bien plus probablement Ben), l'américain se faisait un petit déjeuner typiquement anglais (bol de céréale, toast-confiture de groseille, tasse de thé, bol de céréales brièvement trempées dans du blanc lait de vache). Ce même Ken a jeté quelques minutes plus tard, un regard inquiet au petit déjeuner typiquement chinois qui oscillait entre le micro onde et le frigo (sac plastique, une dizaine de jiǎozi c'est à dire de raviolis à l'huile, du thé et ce qui pouvait bien donner du volume au sac plastique). Après une seconde douche (oui je rappelle que la chronologie est incorrecte) j'ai failli buter dans le dernier locataire, celui qui ne dort pas la nuit à cause de la machine à laver, ancien sous-marinier faisant un stage de business dans une fac tokyoïte et qui lui, en vrai soldat, ne prenait pas de petit déjeuner du tout.
Je suis sorti de la maison, j'ai pris le métro (et non plus le vélo) et nous sommes arrivés (quatre garçons joyeux de moins de trente ans, dont un a mis ses photos en ligne ici), dans l'est de Tokyo, dans le quartier de Ryōgoku (両国), entre le musée Edo-Tokyo (célèbre pour son architecture qui lui donne la surprenante forme d'un pont) et, oui, exactement, le Stade de Sumo Kokugikan (国技館). Il faisait beau, le vent se prenait dans des drapeaux pleins de couleurs, des sumos en yukata suivis par d'autres sumos poursuivis ceux là par de petites écolières comprises entre leurs jupes trop co
urtes, leurs sac à dos immenses et leurs éclats de rire. Il faut entrer ensuite, se faire faire un tatouage à l'encre invisible si on veut ressortir une fois pour profiter du café gratuit chez Mac Donald qu'offre les petits flyers distribués à l'intérieur. Il y a bêtement deux étages à l'intérieur du stade en forme de carré, d'un volume de 13.000 personnes, construit en 1985 sur, ou pas loin, de celui qui était là en 1909 mais pas utilisé depuis 1954. Au premier balcon, on s'assoit sur des sièges rouge-cinéma et la plupart des spectateurs hurlent, la bière au bord des lèvres, ou bien s'installent plus calmement derrière leur télé-objectif acheté la semaine précédente entre deux néons à Akihabra ("les champs de feuilles d'automne", moins littéralement : la ville lumière, un quartier central de Tokyo). Au parterre, c'est là que tout se passe, que la tension et le sel que les grands sumos jettent sur l'arène (ou "dohyo") sont bel et bien palpables. En arrivant de bonne heure (vers midi, sachant que la journée se termine aux alentours de 18h, précise, puisqu'on est au Japon) nous pensions voir jouer les gosses, encourager avec toute la ferveur de leurs mères au foyer. En fait, personne ne s'est ennuyé. Les matchs sont bien organisés par ordre croissant de catégories (six si je suis la page de wikipedia), une cérémonie en habits de couleur (kesho mawashi) marquant le passage d'un acte à l'autre, le dernier match étant celui du Yokozuna (seul dans sa catégorie, incontesté depuis 5ans, il est Mongole, porte un immense slip bleu qu'on appelle mawashi par respect et qu'il a obtenu à la suite d'une longue série de discussions serrées et autres examen) contre un des trente types de la catégorie des grands sumos. De toute façon il y a 15 jours de tournoi de sorte que tous les combattants ont l'occasion de rencontrer l'ensemble des membres de leur catégorie. Les combats durent entre 3 et 20 secondes, le temps qu'il faut pour que les 170 kilos de l'Ouest se ruent sur les 180 de l'Est et qu'ils lui fassent toucher le sol avec autre chose que ses pieds ou bien le balance de l'autre côté de la frontière de l'arène (matérialisée comme on peut s'en douter par de la toile de sac de riz). Plus la catégorie est associée à un important prestige, plus le nombre de coussins de ceux qui attendent sur le bord augmente, plus la quantité de sel jetée sur le sable, et aussitôt balayée, occupe une place importante. La foule hurle face au corps des sumos les plus populaires qui répondent, ou bien provoquent des cris et des nuages de flash, en se frappant les épaules et le torse assez énergiquement il faut reconnaitre. La prise Obélix qui consiste à faire faire de petits bons à l'adversaire en projetant son ventre sur le sien n'est en fait qu'assez peu pratiquée parce qu'elle oblige à perdre ses appuis au sol. La plupart du temps le mieux est encore d'éviter la charge du bourrin d'en face ou bien de se battre comme un homme jusqu'à devenir tout rouge et à se reprendre au dernier moment sur le bord de l'échec, y prendre tout son appui et se jeter de tout son poids sur les spectateurs les plus proches. Alors c'est un peu plus compliqué, il faut que les 6 ou 7 Parques commises d'office se réunissent au centre de l'arène pour décider qui touchera l'enveloppe de cash attribuée au vainqueur.
Puisque la mémoire de mon appareil photo est limitée vous n'aurez pas droit à la cérémonie de l'arc, à la dance du Yokozuna et à la taille incroyablement ridicule de "la portion de Sumo vendue entre 12h et 16h à la cafèt du sous-sol" pour 2euros. Les Sumos, eux, n'ont pas de petit déjeuner mais doivent s'enfiler leur Chanko Nabe (soupe au légumes et à la viande) et leur bol de riz servi sur une rivière de bière avant la sieste. A ce rythme là, jour après jour, on devient Sumo. Encore une histoire dont vous pourriez être le héros....
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