Un conte japonais raconte que : les plus gros poissons vivants au fond de l'océan, les pauvres n'ont une idée qu'assez trouble des heures auxquelles se couche puis se lève le soleil. Si on ajoute à ça le manque de rigueur, tout porte à croire qu'ils sont susceptibles de se lever de très bonne heure. Par manque d'optimisme les pêcheurs lancent leurs bateaux au beau milieu de la nuit ce qui leur permet également d'être de retour au port avant que le soleil ne se lève pour le monde entier.
Comme nous descendions du métro à 5h30 du matin, la nuit sur le bords du marché au poisson, retenait plusieurs semi-remorques et autres camionnettes, le long des files de scooters rouillés. Deux rues à droites puis tout droit, nous continuions à chercher la salle des enchères, là où les volumes de thons tokyoïtes s'évaluent, lorsque nous nous sommes retrouvés sur un parking dont les allées étaient étrangement pleines, de phares et de cris. Il n'y avait pas un poisson en vue mais, en flot continu, des barils rouillés sur roulettes, surmontés d'un volant, précédés d'un phare et suivis d'une petite plate-forme couverte de caisses de polystyrène. De jeunes japonais, insoucieux de tous les équipages, un bandeau sur les tempes, pilotaient sans efforts et très brusquement, dans des allées dont la taille était probablement inférieure à la largeur de leur bolide, dans le seul but d'effrayer les touristes. Une fois le parking traversé, une halle, qui se remplit chaque matin excepté le dimanche ; aux mêmes endroits je pouvais deviner les mêmes marchands. Dans un carré de peut-être 600m de large, traversé d'allées perpendiculaires les unes aux autres, s'alignaient d'innombrables stands. Quelqu'uns sont spécialisés, dans les huîtres et les poulpes ou bien dans les grosses carcasses de thons glacés découpés à la scie circulaire. Il y a aussi à vendre des brochettes de petits poissons, des oeufs de poissons et des dorades que les marchands voudraient montrer aux enfants. Les échoppes ressemblent à des magasins auxquels les murs auraient été retirés. Il y a souvent deux étages, le second étant une mezzanines où d'autres caisses, d'autres outils, en bois, sont stockés sous des couvertures. L'étage du bas est éclairé d'une lampe qui du plafond descend sur le visage des vendeurs, puis leurs pieds, au fond de leur bottes, sur la surface de la pellicule d'eau qui couvre le sol. De l'autre côté d'une rue, où le manège des bolides ne s'est pas interrompu, une halle vide et quelques groupes de deux ou trois hommes (la proportion de femmes augmente sous la halle, d'ailleurs le kanji qui signifie "bon marché" ou bien "paix" c'est une femme sous un toit : 安), un carnet à la main et des caisses à leurs pieds. D'après le dictionnaire, vente aux enchères existe bien en japonais, 競売, et à l'un des comptoirs on nous répond que c'est au bout du couloir à droite.
Au fond du couloir, la nuit était encore sombre, nous débouchions sur une autre rue, gagnée à son tour par la horde bruyante des rouleurs éternels de victimes. Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants, leurs phares font demi tour sans que le signal ne soit clair pour tous. Sous la halle sur la droite, la lumière électrique des carcasses colossales de thons congelés, la tête et la queue en moins. J'ai vu un homme tranchant sur un comptoir de couturière les os d'un de ces blocs de glaces. L'autre, en face clouait la tête à la proue du bolide, les quartiers de thons passait de la table à la planche, à l'aide d'un crochet. Bordant la masse sombre du fond de l'allée, tournant le dos aux plafonniers, rehaussé par le rouge des viandes, une subtile ligne d'agents de police nous barrait le passage. D'autres, étrangers ayant voulu participer aux ventes aux enchères, elles sont désormais fermées au public. L'espace dans lequel elles ajustent leur ligne de flottaison n'est compartimenté que par les courants qui le traversent et pour arrêter un banc minuscule d'imposteurs il fallait quelques agents persuadés de parler anglais. Après plusieurs tentatives, le froid nous gagne et nous regagnons la rive pour y trouver la fraicheur des premiers sushis (寿司). Mais les aubes sont navrantes et nous buvons un thé mauvais au comptoir d'une échoppe d'où on nous apporte quelques tranches de poissons crus.
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