Il est assez difficile de rencontrer des gens normaux parmi ceux qui viennent passer quelques années au Japon, tous ont un hobby curieux allant de l'entomologie provençale aux mangas en passant par la taille des jupes des japonaises. Mais nous avons tous en commun (avec une bonne partie du reste de la Terre certes) d'avoir vu plus de six fois lost in translation. Je ne me suis souvenu du nom de l'hôtel que récemment en me baladant dans un quartier de Tokyo, le Park Hyatt. Je n'ai eu que peu d'occasions de voir Tokyo d'assez haut depuis que je suis arrivé (ma chambre ne dépassant pas le deuxième étage quelque soit l'endroit où j'enménage) et bien que l'ascenceur du Metropolitan Government Building s'élève jusqu'au 45ème étage gratuitement, qu'on puisse y voir un hélicoptère quitter le sommet d'une tour pour s'élever sans un bruit au dessus d'une mer d'autres tours sur laquelle flotte des constellations diodées de rouges et de blancs ; bien que tout ça, la frustration restait et je sentais au fond de moi qu'il y avait quelque chose comme le souvenir enfoui d'un moment de paix gagnant peu à peu la lumière tamisée d'un bar d'altitude.
Malheureusement, comme toute thérapie, le prix à payer fut à la hauteur. Dès le 13ème étage, les couloirs se couvraient de moquette et de miroirs, c'était très grand, on pouvait se perdre, et en atteignant l'étage 52, en baissant un peu la tête mes souvenirs de l'Assomoir n'ont pas eu de mal à ressurgir... Ce drôle de malaise, ces hôtesses qui semblaient nous attendre à la sortie de l'ascenceur, la lumière tamisée et les chemises distinguées, on est entré à pas lents et, fichtre ! il ne faisait pas chaud ; la salle aurait fait une fameuse cave. Et, lentement, les couples avançaient, le menton levé, les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures de mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Ils trouvaient tout ça très vilain (notamment les immenses tableaux aplats de couleurs façon mosaïque fluorescente).
L'incompréhension s'est installée, provoquée de part et d'autre et puis nous nous sommes séparés bon amis. Elena visiblement ne ressentait rien de tout ça et un serveur est venu lui demander gentiment de poser sur une chaise et non sur la table le sac plastique contenant ses nouvelles bottes en caoutchouc. Le bar ne proposait pas de Santori alors on a tout de même eu l'impression de se faire rouler. Le serveur s'approche et sur son costume impeccable je m'aperçois du regard vicieux qu'il me glisse. Il vient pour prendre la commande, aucun de nous ne se dégonfle et je commande un whisky, ce qui provoque chez l'interlocuteur une courte question, néanmoins incompréhensible. Mon premier whisky en terrasse et comme la petite phrase qui revient malgré soi ("straight or on rocks ?") s'obstinait à ne me montrer que des chutes terribles s'abbatant sur le lit caillouteux d'un torrent en aval, il m'a fallu quelques secondes pour avoir le bon sens de répondre au hasard.
Nous ne descendions pas, du haut de la terrasse noir, tamisée, les yeux plongés dans la mer de gaz, nos pensées se laissaient torturées par l'arrivée prochaine de la note (oui les prix figuraient sur la carte). Or, je n'y avais pas pensé en entrant, mais il est tout à fait possible que la probabilité d'un miracle augmente en s'approchant du ciel et paf, ces idiots nous ont pris pour des résidents de l'hôtel ! Nous avons donc discrètement échappé aux lourdes charges de tables (une vingtaine d'euros, potentiellement par personne) et payé notre verre avant de décamper. Ce bon vieux Bob avait donc raison : "a relaxing time !"
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